L’Albanie vient d’inaugurer une première mondiale : l’IA « Diella », initialement assistante virtuelle sur la plateforme e-Albania, est nommée ministre virtuelle des marchés publics, en charge progressive de l’évaluation et de l’attribution des appels d’offres publics. L’objectif affiché : rendre ces procédures 100 % transparentes, éliminer les conflits d’intérêts, les pots-de-vin, la favoritisme — bref, la corruption. 1 2 3
Diella signifie « soleil » en albanais, symbole de lumière, de clarté. Elle porte une apparence humaine (avatar habillée en costume traditionnel) mais n’est pas une personne, ni un décideur politique classique. Sa nomination marque une rupture : le pouvoir décisionnel en matière de passation de marchés publics, domaine traditionnellement vulnérable à la corruption, est confié non plus à des agents humains mais à un système algorithmique. 2 4 6
Enjeux et promesses
Promesses
- Transparence et impartialité
L’idée est qu’un algorithme, conçu avec des règles claires, évaluant objectivement les offres selon les critères définis, ne sera pas influencé par les liens personnels, les intimidations, la corruption classique. Tout se passe selon des données, des métriques, des performances. 5 2 4 - Traçabilité et auditabilité
Chaque décision algorithme peut, en principe, être documentée, tracée, auditée. Qui a soumis quoi, selon quel critère, à quel moment, selon quel poids — ces données peuvent devenir publiques ou au moins accessibles. Cela permettrait de répondre aux critiques, aux doutes, en montrant le « pourquoi » des décisions. - Efficacité et réduction des délais
Moins de lenteurs bureaucratiques, moins de « marchandage » autour des votes internes ou des arbitrages humains, moins de temps perdu à « négocier » ou à « réglages sous table ». L’IA peut potentiellement traiter de nombreux dossiers en parallèle, avec constance. - Confiance publique et réputation internationale
Dans un pays comme l’Albanie, où la corruption publique est un obstacle majeur à l’adhésion à l’Union européenne, à l’investissement étranger, à la légitimité interne, ce geste peut être fortement symbolique : la promesse que le pays entre dans une ère nouvelle. 3 2 1
Risques, limites et défis
- Biais dans les algorithmes
L’IA n’est pas « neutre ». Elle apprend de données passées, de logiques humaines déjà existantes. Si les données historiques sont entachées de favoritisme, de discrimination, de copinage, l’IA risque de reproduire ou de codifier ces biais, parfois de manière plus subtile mais systémique. - Manque de responsabilité et d’imputabilité
Si Diella prend une décision, à qui revient la faute en cas d’erreur grave ? Qui répond devant les tribunaux si un marché est attribué injustement, ou si un prestataire est lésé ? Les institutions humaines devront toujours jouer un rôle de supervision, de recours. Sinon, l’algorithme devient une « boîte noire » inattaquable, ce qui pose des problèmes d’État de droit. - Vulnérabilité à la manipulation
Même les algorithmes peuvent être détournés : via le choix des données, via le paramétrage, via des attaques informatiques. Le fait qu’ils soient supposés « impossibles à corrompre » ne garantit pas qu’ils ne puissent pas être influencés par ceux qui conçoivent les règles, qui fournissent les données, qui contrôlent l’infrastructure technologique. - Absence de discernement humain
Certaines décisions de passation de marché ne se réduisent pas à un calcul d’offre la « moins chère » ou du « meilleur score quantifiable ». Il y a des éléments de jugement qualitatif : réputation, créativité, nuance locale, contexte, innovations non prévues, etc. L’IA peut manquer de flexibilité, d’intuition, de sens politique ou moral. - Légalité, légitimité démocratique
Le fait de nommer une « ministre » non humaine, sans présence physique, sans structure politique habituelle, peut poser des questions constitutionnelles, de séparation des pouvoirs, de contrôle parlementaire. Des opposants ont déjà soulevé des doutes sur la légitimité de cette nomination. 4 2 7
Réflexions sur l’avenir : humains, IA et pouvoir
La démarche albanaise nous place à la frontière de ce que pourrait être le futur de la gouvernance publique. On peut envisager plusieurs scénarios, questions philosophiques, voire dystopiques ou utopiques.
Scénario optimiste : symbiose IA-humaine
Dans ce scénario, l’IA comme Diella serait un outil puissant, sous supervision rigoureuse, toujours subordonnée à des instances humaines responsables. Les États démocratiques adapteraient leur législation : droits d’audit, transparence des algorithmes, recours, obsolescence, mise à jour, vérification de non-biais. L’humain resterait décisionnaire ultime dans les cas complexes, avec l’IA comme arbitre dans les cas routiniers ou standardisés.
Scénario de substitution graduelle
Si l’expérience réussit, certains gouvernements pourraient être tentés d’élargir ce modèle à d’autres domaines : attribution de marchés, justice administrative, allocations sociales, régulation, etc. À terme, des pans entiers de l’administration pourraient être confiés à des IA : l’humain devient un superviseur, un vérificateur, plutôt qu’un acteur central.
Scénario dystopique : l’IA comme écran de responsabilité
Le risque est que la nomination d’une intelligence artificielle serve de paravent. Les décisions restent le fruit de l’influence humaine, mais la responsabilité est masquée derrière la « décision autonome » d’un système. En cas de scandale, on pourra dire « c’est l’IA », « c’est le code », « c’est un bug »… Ceci pourrait vider de sens la responsabilité politique, démocratique et morale.
Fin de la décision humaine au plus haut niveau ?
Peut-on imaginer un jour que les grandes décisions politiques – budget, diplomatie, défense – soient également confiées à des IA ? Ce n’est pas (encore) le cas, et cela pose des enjeux énormes :
- Souveraineté : qui programme l’IA, avec quelles valeurs ?
- Éthique : l’IA peut-elle comprendre la morale, les valeurs humaines, la justice ?
- Sensibilité, empathie, vision : certaines décisions exigent plus que de l’analyse de données : du jugement, de la compassion, du leadership.
- Risque de centralisation : ceux qui contrôlent l’IA auront un pouvoir immense, potentiellement non démocratique.
La « fin de l’humanité annoncée » ?
C’est une image forte, provocatrice, souvent utilisée dans la science-fiction ou les discours alarmistes. On peut la comprendre selon deux axes :
- L’idée que la technologie, en particulier l’IA, supplantera l’humain dans l’essentiel de ses fonctions, y compris la prise de décision, la conception morale, la vision historique.
- Ou, plus sombrement, que l’humanité, son autonomie, sa responsabilité, sa dignité, seront diluées, voire annulées, si l’on remet tout au « logiciel ».
Mais plusieurs obstacles demeurent : conscience, subjectivité, valeurs, éthique, culture. Même si les IA se perfectionnent, elles sont créées par des humains, formées sur des données humaines, et souvent limitées à ce que nous choisissons de leur donner.
Que retenir ?
- L’Albanie fait un pari audacieux : que l’IA peut être un rempart contre la corruption, non pas en remplaçant l’humain partout, mais en limitant les failles humaines dans des secteurs particulièrement vulnérables.
- Le succès de Diella dépendra moins de la technologie pure que des institutions autour : transparence des algorithmes, supervision, responsabilité, légalité, capacité de recours, audit public, accès aux données.
- Le modèle pourra inspirer, mais aussi servir d’alerte : s’il échoue, cela pourrait renforcer le scepticisme technologique ou alimenter un glissement vers la technocratie non démocratique.
- Le futur de la prise de décision humaine est peut-être compromis, mais pas nécessairement aboli : les défis éthiques, philosophiques, civils sont tels que l’on peut espérer que l’humain reste au centre, ou du moins comme garant, de la légitimité.
- Reuters. Albania appoints AI bot minister to tackle corruption.
- Euronews. Albania appoints world’s first AI government ‘minister’ to root out corruption.
- Tech Xplore. Albania appoints AI-generated minister to avoid corruption.
- Digital Watch. Albania names first AI-generated minister to fight corruption.
- AP News. Albania’s prime minister appoints an AI-generated ‘minister’ to tackle corruption.
- Web Pro News. Albania’s World-First AI Minister Diella Fights Procurement Corruption.
- Morocco World News. Diella: Albania Appoints ‘AI Minister’ to End Corruption in Public Procurement.